La victoire modeste de Tsípras

La victoire modeste de Tsípras

En offrant à ses interlocuteurs européens la tête de Varoufakis, son ministre des Finances, le leader grec leur signifie qu'il ne veut pas rompre avec eux.


«J’assume avec fierté, l’exigence des créanciers» : c’est avec ces mots que Yanis Varoufakis a annoncé ce matin sur son blog sa démission du ministère grec des Finances. Décidément, l’actualité ne marque aucune pause en Grèce. Au lendemain du succès indiscutable du référendum organisé par le Premier ministre Aléxis Tsípras, qui a vu la victoire du «non» avec 61% des voix, le départ de Varoufakis est clairement une main tendue à l’égard des créanciers de la Grèce qui avaient fait du fringant ministre grec des finances leur bête noire.

Il est remplacé par Euclide Tsakalotos, jusqu’à présent vice-ministre des Affaires étrangères en charge des questions économiques, qui avait déjà remplacé Varoufakis à la table des négociations à Bruxelles.

Il faut reconnaître à Tsípras d’avoir la victoire modeste. La bataille pour le référendum fut rude. Non seulement la plupart des leaders européens ont manifesté leur hostilité à ce scrutin, mais ils ont également tenté d’imposer leur propre question pour faire de ce référendum un chantage à la sortie de l’euro voire même de l’Europe. Las, les Grecs bien que matraqués de menaces et acculés à l’asphyxie financière, ont visiblement bien compris que ce référendum express portait bien sur les dernières exigences des créanciers et donc sur la poursuite ou non de l’austérité.

Avec un indéniable courage face à tant de pression, ils ont choisi de suivre leur Premier ministre qui, élu sur un programme anti-austérité fin janvier, refusait de se soumettre à un ultimatum qui aurait aussi signé sa capitulation et sa mort politique.

TACTIQUE

Pour Tsípras, le pari était risqué. Parfois soupçonné d’être un populiste, il vient de prouver qu’il sait gérer sa victoire sans arrogance ni triomphalisme, en acceptant de se défaire d’un brillant économiste à la personnalité controversée. La tactique peut paraître juste habile : Varoufakis faisait grincer des dents même au sein du gouvernement grec où les déclarations intempestives de cet électron libre (Varoufakis n’est pas membre de Syriza, le parti de Tsípras) auraient fini par agacer certains ministres. Reste que Tsípras prouve ainsi qu’il ne souhaite ni partir en guerre, ni rompre avec ses interlocuteurs européens auxquels il offre sur un plateau la tête qu’ils réclamaient.

Ce n’est pas son seul geste conciliant. Dès l’annonce de la victoire du «non», le Premier ministre a invité tous les leaders de l’opposition grecque à venir le rencontrer ce lundi à Megaro Maximou (le Matignon grec) pour «entendre leurs propositions». Une incitation à l’union nationale qui souligne aussi l’urgence de la situation alors que les banques sont toujours fermées ce lundi et que l’hémorragie des liquidités se poursuit. Antonis Samaras, lui, ne participera pas à cette réunion : l’ancien Premier ministre conservateur a annoncé sa démission du leadership de son parti (Nouvelle Démocratie) aussitôt les résultats du référendum connus. Un départ qui satisfera tous ceux qui au sein de Nouvelle Démocratie déploraient la dérive très droitière du parti conservateur.

SMARTPHONE

Et après ? Reste à voir l’effet du non sur les autres leaders européens qui avaient parié sur une victoire du oui et la démission dans la foulée de Tsípras. Anticipant parfois, avec une évidente maladresse, la formation d’un gouvernement de technocrates au lendemain du scrutin, comme le fit Martin Schultz, le président du Parlement européen.

Les premières réactions hostiles et négatives exprimées dimanche soir par le vice-chancelier allemand à Berlin ont d’ailleurs choqué les Grecs. Même sur la chaîne Mega (très hostile au gouvernement), les animateurs du talk-show matinal s’interrogeaient sur la pertinence d’une telle agressivité au lendemain d’un choix démocratique.

Doit-on lui opposer le «choix démocratique» des 18 autres pays membres de l’Eurogroupe qui hésitent à aider à nouveau la Grèce, comme certains l’affirment ? «Je suppose que les autres pays de l’Eurogroupe veulent surtout récupérer l’argent qu’ils ont prêté à la Grèce. Or l’austérité n’a fait qu’appauvrir la Grèce et a conduit à l’effondrement de l’économie grecque. Ils ont donc objectivement tout intérêt à ce qu’on tente autre chose», avait déclaré Varoufakis à la BBC, la veille du référendum. Ce dernier a annoncé qu’il continuerait «à aider Aléxis Tsípras». Mais nombreux sont ceux qui le soupçonnent de songer également à écrire un nouveau livre : Varoufakis n’a pas caché en effet qu’il enregistrait avec son smartphone les réunions de l’Eurogroupe (dont il n’existe aucun compte rendu). En principe, pour des raisons techniques. Mais les «révélations» de Varoufakis, le jour où il se décidera à retranscrire ce qui s’est passé dans ces réunions, pourraient donner des sueurs froides à tous ceux qui prétendent voir dans l’Eurogroupe «l’expression de la volonté des peuples d’Europe»…