Les mauvais génies du jihad français

Les mauvais génies du jihad français

Des filières algériennes formées dans la banlieue lyonnaise à la fin des années 80 jusqu’aux actuels réseaux salafistes, les prédicateurs jouent un rôle majeur dans l’embrigadement de jeunes musulmans.


Ce sont eux qui sèment la petite graine, celle qui, des années plus tard, contribuera au passage à l’acte. De Lunel à Pontarlier, de Lagny-sur-Marne à Toulouse, un idéologue de l’ombre apparaît à chaque fois ou presque dans l’entourage proche des jeunes jihadistes. Ces hommes, tous loués par leurs élèves pour leur «charisme» et leur «érudition», dispensent des cours de religion où les textes sacrés, le Coran en l’occurrence, sont lus et interprétés de manière littéraliste, voire dévoyée. Bien plus malins et structurés intellectuellement que leurs apôtres, ils échappent souvent à la justice, ou partent se faire oublier à l’étranger. «On a beaucoup parlé du rôle d’Internet dans l’embrigadement des jihadistes. Il est réel. Mais il ne faut surtout pas négliger la présence d’une personne physique qui concrétise dans la vraie vie les théories glanées sur les forums», explique un ponte du renseignement actuellement en poste.

CONVERTI VIRULENT

Vendredi dernier, lorsque Yassin Salhi est arrêté à Saint-Quentin-Fallavier (Isère), il faut à peine une heure aux enquêteurs de la sous-direction antiterroriste (SDAT) pour s’apercevoir qu’il a été poli par Frédéric-Jean Salvi, 36 ans, un converti particulièrement virulent, croisé au milieu des années 2000 à Pontarlier. Surnommé «le Grand Ali», il s’est radicalisé en prison. Un parcours similaire à celui d’Amedy Coulibaly, auteur de la tuerie de l’Hyper Cacher, radicalisé à Fleury-Mérogis (Essonne) au contact de Djamel Beghal, une des éminences grises du Groupe islamiste armé (GIA) algérien.

Aujourd’hui, beaucoup de ces recruteurs s’inscrivent dans la filiation des prédicateurs du GIA arrivés en France à la fin des années 80. Dans la banlieue lyonnaise, lieu de l’arrestation de Yassin Salhi, le GIA a tissé sa toile autour du maître des attentats de 1995, Khaled Kelkal.

Le groupe de Lunel aussi a été mis sous influence d’une galaxie ultraradicale. A la fin des années 80, une petite cellule se constitue autour d’un imam algérien, Nouar Kiroune. Identifié par la DSTcomme sympathisant du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), il délivrait des prêches radicaux dans plusieurs quartiers populaires de Montpellier : le Petit-Bard, la Mosson et la Paillade. Dans son sillage, une petite dizaine de prédicateurs, tous algériens, font naître une foultitude d’associations destinées à collecter des fonds pour le GSPC. A la fin des années 90, la DST considère le noyau ramifié autour de Nouar Kiroune comme l’un des plus actifs de l’Hexagone.

AFGHANISTAN ET IRAK

Partout en France, un changement majeur intervient après le 11 Septembre, avec les guerres menées par les Américains en Afghanistan puis en Irak. Les cellules algériennes s’élargissent à d’autres nationalités. En mars 2006, la cellule montpelliéraine demande par exemple son rattachement au Hizb-ut-Tahrir, un parti islamiste fondé en 1953 en Jordanie. L’affiliation se fait par la venue discrète dans le Languedoc-Roussillon du représentant allemand d’Hizb-ut-Tahrir, l’imam Abou Muhad - un faux nom. Douze Lunellois apparaissent alors dans les radars de la DST.

Pour une source policière haut placée, «ces capillarités sont en quelque sorte une bonne nouvelle : cela montre que les milieux islamistes radicaux sont assez resserrés». Pourtant , la DGSI a bien du mal à avoir le tiercé dans le bon ordre. La faute, en partie, a une fusion désastreuse réalisée par Nicolas Sarkozy en 2008. Cette année-là, les RG fusionnent avec la DST pour donner naissance à la DCRI (Direction centrale du renseignement intérieur). Du fait de l’éclatement des équipes de surveillance, de nombreux profils inquiétants sont égarés. «Il faut urgemment une meilleure coordination. Si le noyau du réseau est la plupart du temps identifié, ce sont souvent les satellites qui explosent», observe le ponte du renseignement. C’est pourquoi le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, entend, comme l’a révélé le Monde,constituer un état-major de la lutte antiterroriste, directement relié à son cabinet.