Terrorisme : "Il ne sert à rien de surveiller tout le monde tout le temps"

Terrorisme : "Il ne sert à rien de surveiller tout le monde tout le temps"

Le professeur de criminologie Alain Bauer, proche de Matignon, estime que les informations recueillies sur Yassin Salhi auraient dû alerter nos services secrets. Il plaide pour une meilleure analyse des données déjà disponibles.

 


Après l’attentat contre l’usine de gaz de l’Isère, faut-il augmenter les mesures de protection des sites sensibles ?

- Il faut de toute façon protéger les sites sensibles. Mais les mesures de protection, type Vigipirate, avec des policiers ou des militaires en faction, servent essentiellement à rassurer la population. Le processus utile est plutôt dynamique, dans l’enquête, la prévention, le décèlement. Il est moins visible mais souvent plus efficace.

Pour autant, il ne sert à rien de surveiller tout le monde tout le temps. Les Américains nous l'ont démontré. Les milliards de dollars investis dans la NSA (l’Agence nationale de sécurité américaine, chargée des écoutes et de la collecte d’informations sur Internet, NDLR) n'ont pu quasiment empêcher aucun attentat.

Renforcer le dispositif anti-terroriste est donc inutile ?

- Il faut continuer à faire ce qu’on a déjà mis beaucoup de temps à lancer. Jusque dans les années 1989-90, notre dispositif en matière de renseignement était destiné à lutter contre les espions rouges ou des terroristes gauchistes.  En 1995, avec les attentats orchestrés par Khaled Kelkal (jugé responsable de la bombe qui a tué huit personnes dans le RER B, NDLR), on a vu apparaître le premier "hybride", mélange de délinquant et de terroriste, le gangsterroriste. Et puis, on l’a oublié. On a cru que c’était un épiphénomène. Jusqu’aux attentats de Mohamed Merah, la copie conforme de Kelkal, quinze ans plus tard.

Les services se sont adaptés à ce nouveau profil en passant d'un extrême à l'autre, principe de précaution oblige. On s’est mis à récolter de l’information en masse. On n’en manque pas ! Mais on ne sait pas bien interpréter les informations qu’on recueille. C’est comme si nous n’avions pas un cerveau assez performant entre nos grandes oreilles.

Si on savait mieux les interpréter, aurait-on pu empêcher les attentats récents ? 

- Ce n’est ni facile, ni simple. Et il faut se méfier de la posture visant à expliquer après qu'on aurait pu…. Mais, pour les frères Kouachi, pour Amedy Coulibaly comme pour Yassin Salhi, il existait suffisamment de signes pour les identifier comme dangereux.

En ce qui concerne Salhi, il avait une fiche S qui a été remise à jour deux fois, et des éléments complémentaires de la gendarmerie. C’était un musulman en voie de radicalisation doublé d’un fou solitaire (et pas un loup solitaire) avec des problèmes caractériels connus. Il semble avoir poursuivi une vengeance personnelle en la doublant d’une mise en scène terroriste.  Comme pour Kouachi ou Coulibaly, ce ne sont pas seulement des radicaux mais des "hybrides", avec plusieurs caractéristiques.

Aujourd’hui, on peut penser que tous les terroristes en puissance ont été repérés. On surveille deux à trois mille personnes, dont quelques dizaines sont vraiment dangereuses. Le problème est d’arriver à évaluer leur degré de dangerosité, leur capacité à passer à l’acte.

Améliorer le traitement de l’information n’était-elle pas la volonté affichée par le gouvernement quand il a créé de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) l’an dernier ?

- Rocard dans les années 1990, Sarkozy en 2008, puis Valls en 2013, ont peu à peu pris la mesure du problème. Et nos services sont, en effet, en train de recruter des analystes. Mais c’est un processus long car on n’a pas formé d’analystes pendant des années. On ne trouve pas ce type d’agents au supermarché. Ce ne sont plus seulement des policiers dont on a besoin, mais des gens qui viennent de tous les horizons : des statisticiens, des spécialistes des sciences sociales, des experts, des journalistes… Il faut plusieurs années pour former un bon analyste. Néanmoins, il faut voir le positif : nous sommes en train de rattraper notre retard.