Rapport du Crisis Groupe: ‘’L’ambition de Chahed et l’hypertrophie de Nahdha freinent tout progrès’’

Rapport du Crisis Groupe: ‘’L’ambition de Chahed et l’hypertrophie de Nahdha freinent tout progrès’’

Dans un rapport publié, jeudi 2 août 2018, sur sa page Facebook officielle, le think tank International Crisis Group (ICG) a traité de ‘’la crise gouvernementale’’ en Tunisie et de la ‘’situation politique tendue’’, évoquant les causes et les conséquences de la crise, de même que les possibles solutions de sortie de crise, à même de rompre avec ‘’les luttes entre les forces politiques’’.


Le rapport revient sur la genèse de la crise politique en Tunisie, passant en revue les éventuels scénarios pour mettre fin au ‘’différend’’ qui pourrait impacter la confiance des puissances mondiales, notamment financières, en la Tunisie. La solution pour sortir de la crise, souligne-t-il, consisterait à former un gouvernement de technocrates pour succéder à Youssef Chahed et gérer la situation, notamment aux plans économique et financier, les partis politiques devant se consacrer aux préparatifs de l’élection présidentielle de 2019.

Le rapport de l’International crisis group se veut un diagnostic rigoureux de la crise politique en Tunisie, pointant les aspects et obstacles qui ont fait que la crise passe des partis au pouvoir pour devenir une crise gouvernementale parlementaire présidentielle. Selon l’ICG, la crise politique en Tunisie avait eu pour origine ‘’le différend entre les partis politiques et les organisations nationales sur le sort à réserver au gouvernement Chahed, ainsi que sur la question de savoir s’il doit quitter le pouvoir en s’en remettant au Parlement ou en démissionnant’’. A ceci s’ajoute, selon le groupe, la lutte souterraine pour le contrôle de Nidaa Tounès, un des deux principaux partis de la coalition au pouvoir.

Le rapport fait également état de l’impact de la crise politique sur la situation générale dans le pays. ‘’Les querelles ont paralysé l’action gouvernementale et parlementaire, divisé la classe politique, lui a fait perdre sa crédibilité, réduit à néant la confiance des citoyens en les institutions de l’Etat et compromis la gestion des urgences par le gouvernement comme les attaques terroristes éventuelles et les manifestations populaires sans autorisation qui, souvent, dégénèrent en troubles’’, estime l’ICG.

La meilleure solution : un gouvernement de technocrates

S’agissant des ‘’impératifs de l’étape’’ pour la Tunisie, l’International Crisis Group souligne que ‘’les partis politiques et les organisations nationales se doivent de mettre un terme à la crise et de se persuader que l’Assemblée des représentants du peuple est la seule habilitée à décider du sort du gouvernement Youssef Chahed s’il s’avère nécessaire qu’il se démette en de persistance de la tension politique et socliale’’, estimant que ‘’la meilleure option envisageable consiste à former un gouvernement de technocrates’’.

Le groupe de réflexion est revenu en détail sur la genèse du conflit politique en Tunisie. La Tunisie, estime-t-il, ‘’traverse une crise gouvernementale provoquée principalement par les développements survenus récemment dans le paysage des partis (…). Les résultats des dernières élections municipales pourraient avoir ébranlé la stabilité de la coalition gouvernementale entre Nidaa Tounès et le mouvement Ennahdha, lequel mouvement a emporté le scrutin et montré une évolution qui lui a permis de négocier en position de force avec Nidaa Tounès. Il en a aussi résulté une lutte de leadership au sein du Nidaa dans la perspective de la prochaine élection présidentielle. Or, gagner ce scrutin par le Nidaa est désormais compromis, en raison de la capacité montrée par Ennahdha de moissonner les voix.

Le groupe de réflexion impute d’autre part le différend au sein de Nidaa Tounès à l’usage fait par Youssef Chahed de la couverture politique que lui a procuré Ennahdha face aux voix réclamant son nécessaire départ, ce qui a fait de lui l’adversaire tout désigné du directeur exécutif du parti, Hafedh Caïd Essebsi, et d’autres dirigeants du mouvement. La c rise politique en Tunisie ‘’a affaibli les institutions et entravé l’action du parlement et du gouvernement’’, ajoute le rapport de l’ICG.

Ennahdha a changé de politique après sa victoire aux municipales et se trouve désormais en position de force

Toujours d’après le rapport de l’ICG, le taux de participation au scrutin lors des dernières élections municipales, met en évidence une désaffection, voire un rejet en bloc de la classe politique, en comparaison avec les élections législatives de 2014. Nidaa Tounès a perdu deux tiers de ses électeurs, ce qui a modifié l’équilibre des forces’’, souligne son rapport, estimant que les résultats des élections municipales ont ‘’renforcé la position de négociation d’Ennahdha dans les discussions au sein de la coalition au pouvoir comme au parlement ou au plan partisan.

Le rapport de l’ICG dit d’Ennahdha qu’elle ‘’a joué la retenue depuis son 10e congrès tenu en mai 2016, proclamant notamment avaoir abandonné le dogme de l’islam politique, donné des assurances aux partenaires européens de la Tunisie et ouvert les bras à de nombreux adhérents en dehors de la droite comme les nationalistes et les RCDistes, que ce soit par les adhésions ou par l’organisation de rencontres avec eux. Après sa victoire aux dernières élections municipales qu’elle remportées à 28 % des voix, elle s’est hissée au devant de la scène nationale, devant son partenaire au pouvoir, Nidaa Tounès, souligne le rapport.

‘’Un accord avait été conclu à l’été 2017 entre le président de la République Béji Caïd Essebsi et le leader du mouvement Ennahdha Rached Ghannouchi en faveur du départ du chef du gouvernement Youssef Chahed, comme ce fut le cas avec son prédécesseur Habib Essid, mais Chahed avait déjà lancé une guerre sélective contre la corruption’’, rappelle le groupe.

Le 3 mars 2018, ajoute-t-il, le chef de l’Etat a rouvert les concertations avec les signataires du Pacte de Carthage pour tenter de parvenir à une nouvelle feuille de route (Carthage II), avant que les discussions n’achoppent sur la question de la conduite à suivre concernant Youssef Chahed. Mais Ghannouchi apporta son soutien au maintien de ce dernier dans ses fonctions, contrairement à tous les autres signitaires du Pacte de Carthage, voire à certains dirigeants d’Ennahdha…

L’International crisis group a en outre fait état de l’allocution du chef du gouvernement diffusée par la chaîne publique de télévision, y voyant la main du mouvement Ennahdha pour ce qui est de mettre en cause le directeur exécutif de Nidaa Tounès et d’établir la corrélation entre la crise en Tunisie et les querelles au sein de Nidaa Tounès.

Le 16 juillet 2018, rappelle encore l’ICG, le président de la République a tenu une réunion extraordinaires avec les principales parties prenantes des pourparlers de Carthage II censés sceller le sort du gouvernement, à la suite de quoi, le conseil de la Choura du mouvement Ennahdha a publié une déclaration ‘’diplomatique’’ demandant à Chahed de ne pas se porter candidat en 2019, bien que la Constitution n’empêche personne de se présenter.

S’agissant de la position des partenaires européens de la Tunisie, l’ICG rappelle que, pour la France et l’Union Européenne, l’instabilité gouvernementale en Tunisie retarde les réformes. De même, un certain nombre de diplomates et experts étrangers des organisations internationales considèrent que l’UGTT s’emploie principalement à entraver les réformes économiques.

Ce que d’aucuns considèrent comme ‘’une victoire de Chahed contre ses adversaires après le vote de confiance du parlement en faveur du nouveau ministre de l’Intérieur Hichem Fourati, le groupe de Nidaa Tounès ayant finalement voté la confiance, ne peut pas être prise pour un blanc seing à Youssef Chahed mais pour un vote pour des considérations d’intérêt national, et non pas un vote politique en faveur du chef du gouvernement.

Le rapport de l’ICG relève aussi que ‘’la bataille pour la prise de contrôle de Nidaa Tounès et le recul du consensus entre Ennahdha et Nidaa Tounès ont conduit à retarder le travail du parlement et du gouvernement, l’examen de projets de loi importants ayant été bloqué comme la mise en place de la Cour constitutionnelle et l’élection d’un président de l’Instance supérieure indépendante pour les élections.

L’administration tunisienne, proie des querelles politiques

Le rapport de l’ICG cite le témoignage d’un haut fonctionnaire de l’Etat, selon qui maintes parties prenantes politiques se succèdent auprès des administratifs sur leurs lieux de travail pour demander à bénéficier de services particuliers et tenter d’imposer certaines politiques bien déterminées, sans compter les nominations décidées de manière suspecte. Selon ce haut fonctionnaire, la chute du gouvernement Chahed sonnerait le glas de nombreux titulaires de postes administratifs pour des raisons politiques ou pour d’autres raisons en rapport avec les querelles en cours.

La formation d’un gouvernement de technocrates sera l’ultime solution

Le groupe de réflexion appelle enfin à éviter les querelles, à faire prévaloir l’intérêt général et à laisser le parlement trancher les textes importants, outre l’impératif de former un gouvernement de technocrates pour administrerles rouages de l’Etat, ‘’à un moment où les puissances suivent de près ce qui se passe en Tunisie’’.