Duel inégal entre petit commerce et grandes surfaces

Duel inégal entre petit commerce et grandes surfaces

C’est un épicier d’origine djerbienne, comme nombre de ses ancêtres. Il y a quelques années, il a acheté un fonds de commerce du côté du Passage et depuis il travaille de sept heures du matin à huit heures du soir, avec comme seul repos quelques jours durant l’Aïd El Kébir. Avec le temps, il a réussi à fédérer tout le quartier autour de son commerce, grâce à son caractère affable.


Mais voilà qu’un jour, un hypermarché ouvre à quelques dizaines de mètres de sa boutique, puis un second et un troisième… Depuis, il voit sa clientèle se raréfier et passer rapidement devant sa porte, les bras encombrés de sachets pleins, portant les sigles des supermarchés environnants. Certes, ils viennent encore dans sa boutique, mais leurs achats se limitent à deux petites bricoles : une baguette, du lait, des pâtes…

C’est ce que l’on appelle l'achat d'appoint : une dépense de quelques centaines de Millimes au maximum, souvent à crédit. Et ça le rend furieux : ils payent comptant dans les grands magasins, mais pas chez moi… Et il nous montre un cahier fripé, sur lequel il inscrit les achats des familles des environs et à la fin du mois, il est obligé de les relancer pour qu’ils payent leurs ardoises.

Mais notre épicier n’est pas le seul commerçant touché-coulé par ces mastodontes de la distribution : il y aussi le boucher, le marchand de fruits et légumes, la boutique de l’électroménager, la quincaillerie… Tous ces commerçants souffrent d’une importante baisse de leurs chiffre d’affaires, sans savoir à qui s’adresser ni à qui se plaindre. Les responsables leur tiennent le discours de la libre concurrence, alors qu’ils croulent sous les dettes et les impayés

Il faut savoir que jusqu’aux années 90, le système commercial tunisien était composé de grossistes, de petits commerçants et de quelques grandes surfaces qui se comportaient comme des épiceries grand format. La grande distribution va imposer une vision nouvelle et des techniques de marketing très pointues, bouleversant tout le système. L’implantation des hypermarchés a notamment changé le rapport de force qui était jusqu’alors en faveur des producteurs.

Quant aux clients, ils se félicitent des progrès qu’apportent les hypermarchés sur le plan de la clarté des prix, de l’hygiène, de l’organisation, de la richesse et la variété des produits… Certains se sont cependant plaints de l’effet compulsif qui pousse tous les membres de la famille à dépenser plus que de raison, avec une note très douloureuse lorsqu’on passe à la caisse. Ils reconnaissent cependant qu’ils ont besoin de leur épicier car on ne va pas aller jusqu’au supermarché pour une bouteille d’eau ou une baguette…

Depuis que les hypermarchés version européenne ont débarqué en Tunisie, les épiciers étouffent et meurent à petit feu. On devrait donc développer un plan de sauvegarde du petit commerce. L’épicier du coin reste un acteur important du commerce, un employeur et un animateur du quartier, son âme en quelque sorte, loin de la froideur des caissiers des hypermarchés… Il faudrait d’urgence trouver un équilibre entre les différentes forces commerciales en présence, car le petit commerce se meurt...

Rachid Fazaâ