Vous avez dit relance économique ?

Vous avez dit relance économique ?

Finalement et contrairement aux prévisions alarmistes, la pandémie de la Covid-19 n’aura pas résulté en une catastrophe sanitaire pour la Tunisie. L’avenir clarifiera les raisons fondamentales de la faible mortalité enregistrée dans notre pays. On saura alors s’il fallait se féliciter de la pertinence des mesures décidées par les autorités publiques, ou du degré de civisme des citoyens, ou de facteurs protecteurs au sein de la population tunisienne tels que sa jeunesse, ou de l’existence d’éventuels phénomènes d’immunité croisée… Il est encore beaucoup trop tôt pour distinguer ce qui a été décisif de ce qui ne l’a pas été.


Si nous avons échappé à la catastrophe sanitaire, nous n’échapperons en revanche pas à la catastrophe socio-économique résultant de la mise à l’arrêt de la machine productive (lockdown) pendant les 2,5 mois de la période de confinement.

L’état des lieux est aujourd’hui celui d’une économie sinistrée. Ainsi, le PIB a reculé de 1,7% au premier trimestre. Les pertes d’emploi dans le secteur informel ont été gigantesques même si on ne peut les chiffrer. Les pertes de recettes fiscales au premier trimestre ont atteint 8,3%. Dans ce chaos, notons quand même que les dépenses de salaires de la fonction publique ont allégrement poursuivi leur trend haussier ininterrompu depuis neuf ans soit +15,9% (en glissement annuel).

Malgré ses moyens financiers limités, l’Etat s’est courageusement engagé à atténuer les effets désastreux de la crise sur les ménages et les entreprises.

L’octroi d’aides matérielles directes à près d’un million de familles en situation économique précaire est la plus remarquable des mesures gouvernementales décidées et dument exécutées, nous devons l’en féliciter.

En revanche, s’agissant du soutien promis aux entreprises sinistrées, le compte n’y est pas du tout ! La volonté affichée par l’Etat semble avoir été victime de lourdeurs bureaucratiques qui en ont retardé la mise en application jusqu’à ce jour. Rappelons que l’essentiel des mesures de soutien aux entreprises ont été mises à la charge des banques, l’Etat apportant sa  garantie partielle aux crédits octroyés par les banques. Il est également attendu que l’Etat prenne en charge une portion du coût du chômage technique des employés du secteur privé. Par ailleurs, les reports de charges fiscales ou sociales espérées par les entreprises n’ont été que parcimonieusement accordées. Enfin, l’Etat a déclaré être incapable de payer toutes ses dettes aux entreprises lui ayant fourni des biens et services et d’apurer totalement les crédits d’impôts. Cette déclaration qui frise l’indécence, illustre bien le fait que les arbitrages financiers de l’Etat ne bénéficient jamais aux secteurs économiques productifs lorsque ceux-ci sont en ballotage avec le paiement des salaires de la fonction publique ou la couverture du déficit des entreprises publiques.

Alors que le lockdown n’a débuté que le 22 mars et a quand même abouti à une récession de -1,7% au premier trimestre, tout laisse prévoir prévoir que pour le second trimestre où le confinement a concerné deux mois et demi la baisse du PIB sera certainement à deux chiffres (l’ITCEQ estime que cette baisse pourrait s’élever à -46,2%). Les destructions d’emploi dans le secteur formel devraient aller crescendo au cours des semaines et mois à venir (l’ITCEQ avance un chiffre de plus de 400.000 licenciements). Les échanges extérieurs, exportations comme importations se sont repliés de respectivement -48% et -41% en avril 2020. Plus inquiétant encore, pour des secteurs clés de notre économie comme le tourisme et les industries exportatrices, fortement dépendants de facteurs extérieurs, aucune perspective de reprise n’est perceptible pour 2020. Enfin, il y aura lieu de s’inquiéter d’une probable dégradation de la qualité des actifs bancaires.

Dans ce contexte, il semble illusoire d’envisager une reprise économique pour 2020. Dans le meilleur des cas sera-t-il possible de limiter la casse ! La situation délabrée de nos finances publiques rend inenvisageable toute politique de relance budgétaire massive à l’instar de ce que font nos voisins européens. L’Etat-cigale qui par beau temps, n’a rien entrepris pour corriger les déséquilibres structurels de ses finances, se retrouve bien démuni pour agir par mauvais temps.

Comment dans ces conditions pourrait-on articuler la loi de finances rectificative pour 2020 ? Quelles marges de manœuvre subsiste-t-il ? Quels arbitrages privilégier ?

De mon point de vue la politique publique la plus raisonnable consisterait à : 1/continuer à protéger les personnes les plus fragiles et 2/ imaginer des mesures de relance économiques non-budgétaires (c.à.d. ne pesant pas sur le budget de l’Etat).

Les aides sociales directes devraient être pérennisées dans un système inspiré du concept de revenu universel. Nous avons déjà entamé ce mouvement, nous devons le poursuivre résolument, faute de quoi un chaos social serait fort à craindre. Le financement de ces aides se ferait par ponction sur le budget initialement alloué à la compensation et tout particulièrement celui consacré à la subvention des hydrocarbures, ces aides devant à terme remplacer la compensation.

Avec une pression fiscale de 25% du PIB (hors prélèvements sociaux) la Tunisie est déjà un enfer fiscal et il serait preuve d’un total aveuglement que l’Etat table sur une augmentation de la pression fiscale pour poursuivre dans son incontinence dépensière. L’Etat est appelé à mettre de l’ordre dans sa maison ! Il doit mettre sur le métier les dossiers de la masse salariale de la fonction publique et des entreprises publiques. Il doit veiller à ce que toute amélioration du rendement de la fiscalité serve en priorité à réduire la pression fiscale et non à augmenter les dépenses publiques.

Nous n’aurons donc d’autre choix que la planche à billets pour financer le déficit primaire du budget de l’Etat, en étant raisonnablement rassuré que l’injection monétaire liée à l’octroi de pouvoir d’achat à des couches sociales défavorisées ne provoquera pas de tensions excessives sur la balance commerciale (à l’inverse de hausses de revenu qui auraient été accordées à la classe moyenne), ni de risques inflationnistes élevés du fait de nos capacités de production agricole non pleinement exploitées.

Dans la panoplie des mesures de relance non-budgétaires, quatre grandes initiatives pourraient être lancées ou accélérées : la digitalisation des services de l’Etat, la suppression des autorisations administratives touchant à l’activité économique, la distribution des terres domaniales et le lancement d’un projet pilote de production du cannabis.

  1. La qualité des services rendus par l’Etat à ses citoyens est un facteur de croissance économique. La digitalisation devrait être l’occasion de débureaucratiser les services de l’Etat. La réussite d’une digitalisation exige de repenser la procédure administrative. Une digitalisation qui ne se traduit pas par zéro papier et zéro présence physique au guichet de l’administration, n’est d’aucune valeur ajoutée. La mise en place de l’identifiant unique rend possible cette digitalisation intelligente !
  2. Les autorisations administratives d’exercice d’activités économiques sont l’instrument qui fonde dans notre pays l’économie de rente. Nombre d’observateurs tunisiens et étrangers ont pointé le potentiel de croissance économique perdu du fait de la persistance d’une économie rentière au profit d’un nombre restreint d’opérateurs privilégiés. Pour la centaine d’autorisations administratives recensées par le décret n°417 de Mai 2018, l’heure est venue de passer à l’action et de dégraisser le mammouth ! En premier lieu, l’heure est venue de supprimer totalement l’autorisation de vente de boissons alcoolisées. J’y vois au moins trois bénéfices économiques majeurs. Le premier est qu’elle induira immédiatement des milliers de créations d’emplois dans le secteur de la restauration. Le second est qu’elle se traduira par un saut qualitatif prodigieux dans ce secteur car la concurrence s’y fera dès lors sur la qualité de la cuisine et non sur le fait de servir ou non de l’alcool, ceci ne pouvant, plus généralement, que bénéficier à la montée en gamme du tourisme tunisien. Le troisième est que l’Etat pourrait y gagner des rentrées fiscales nouvelles en exigeant, par exemple, des établissements qui serviraient de l’alcool le paiement d’un droit annuel de 5.000 dinars, ce qui serait quand même plus éthique que de les laisser dépenser en pots de vin.
  3. La distribution des terres domaniales n’est pas une idée nouvelle. Il faut la sortir de sa léthargie en menant une évaluation des premières expériences et identifiant les raisons qui freinent son expansion pour les corriger et générer à partir de ces actifs en déshérence une source de création de richesses.
  4. Le projet connu sous le nom de Silianabis est l’un des projets les plus prometteurs qu’il m’ait été donné de découvrir à l’écoute de ses promoteurs. Il consiste à développer, sous l’étroit contrôle de l’Etat, un projet pilote de production de cannabis et d’explorer les opportunités d’exportation de cette production sur le marché des applications thérapeutiques, industrielles et récréatives. L’Etat serait bien inspiré de l’étudier avec le plus grand sérieux et démontrer ainsi sa capacité à réfléchir « out of the box » et à expérimenter des nouveautés quand elles recèlent un fort potentiel de croissance.

En conclusion et sans vouloir jouer les Cassandre, il est clair que le plus dur reste à venir s’agissant de l’impact de la Covid-19 sur la vie des tunisiens… Ma conviction est que nous n’arriverons à surmonter ces difficultés qu’en faisant preuve de courage et d’imagination !