Sifflet à la recherche d’arbitre...

Sifflet à la recherche d’arbitre...

Le débat sur la question de savoir s’il faut choisir un arbitre national ou étranger pour diriger les matchs du championnat national refait périodiquement surface sans réellement trouver de réponse satisfaisante.


Les uns disent oui, c’est une bonne idée, la meilleure même, si l’on veut assister à du vrai football. Les autres, plus chauvins – ce n’est pas forcément une injure ici – se posent la question de la légitimité d’une telle pratique, allant même jusqu’à se demander si ce n’est pas une insulte aux arbitres nationaux. L’on pourrait élargir cette question au choix de l’entraîneur de l’équipe nationale : faut-il impérativement un Tunisien pour conduire les Aigles de Carthage, ou bien un étranger, avec toute l’aura et la fascination que ce mot peut contenir ?

Au lieu d’aborder de front cette question, il serait peut-être plus judicieux de la prendre en deux temps, car elle contient deux facettes pas forcément conciliables. Il y a en effet “l’ici et le maintenant”, c’est-à-dire le championnat actuel, les prochains matchs, les points qu’il faudrait gagner pour ne pas “tomber” à la division du dessous, etc. ; tout ce qui préoccupe le supporter, le joueur, l’entraîneur, enfin tout le monde qui gravite dans la proximité immédiate de la saison en cours. En somme, pour eux la question est temporelle et nécessite une réponse immédiate, le souci premier étant les trois points de la prochaine rencontre.

Personne ne naît savant, le savoir s’acquiert par la pratique…

En ce qui les concerne tout est clair et à vrai dire leurs arguments sont convaincants. Preuve à l’appui, ils affirment qu’avec une équipe d’arbitres étrangers, lors d’une rencontre importante du championnat, derby ou classico, la partie se passe plus calmement qu’elle ne l’aurait été avec un arbitre tunisien. Si les faits corroborent une telle affirmation, l’observateur extérieur au monde du football reste songeur. En effet, que signifie ce constat ? Que nos arbitres sont incompétents, incapables de diriger un match ? Ou pire encore, qu’ils sont corrompus, que leurs coups de sifflet donneraient raison au bon payeur ? Non, non, rétorquent-ils, mais simplement qu’avec des étrangers les joueurs se conduisent mieux, enfin qu’ils font l’effort de se tenir à peu près convenablement. Quoi, alors ? 

Cela signifierait-il que nos joueurs ne peuvent faire des efforts de civisme et d’esprit sportif que s’il y a un arbitre étranger, comme ces vilains garnements qui se tiennent tranquilles tant bien que mal uniquement face à des invités ou à des personnes extérieures au groupe ? Ici les partisans commencent à balbutier et leurs arguments à flancher. 

L’autre facette intéresse le rêveur, celui qui se projette dans l’avenir plus ou moins lointain, un avenir que probablement il ne verra jamais de son vivant, mais qui le berce tout de même d’une douce rêverie de lendemain glorieux. Pour celui-là, aucune des raisons invoquées ci-dessus n’est valables. Non pas à cause d’un chauvinisme obtus, mais tout simplement parce que cela ne tient pas. En effet, si la raison est la corruption, ce n’est pas en contournant le problème qu’on va le régler ; s’il s’agit de la bonne tenue des joueurs, ce n’est pas en les infantilisant qu’un jour ils finiront par atteindre à la courtoisie rêvée ; enfin s’il s’agit de compétence et de savoir-faire – et là on pourrait inclure la question de l’entraîneur de l’équipe nationale – ce n’est pas en déléguant le travail à autrui, à un étranger qui “sait mieux faire que nous”, qu’on finira par apprendre nous-mêmes, et à terme par devenir expert. 

Personne ne naît savant, le savoir s’acquiert par la pratique et se perfectionne par la succession des générations. En mandatant le travail à ceux qui savent déjà (les arbitres internationaux, les entraîneurs dans grands championnats mondiaux), on se condamne au rôle de l’éternel spectateur, toujours assis et n’utilisant ses mains que pour applaudir ou huer, jamais pour créer.
Le lecteur l’aura compris, ce qui se passe dans les stades n’est qu’une allégorie, une scène miniature où se joue à l’infini notre drame de peuple assisté. Car tout dans le pays, du moindre bout de crayon aux grandes machines industrielles, est importé. Pis encore, même la maintenance nécessite un savoir-faire étranger. C’est ainsi que naît la dépendance, qui peut vite tourner à l’asservissement. Le Tunisien a pourtant toutes les cartes en main, ou presque, pour en sortir tout seul – n’est-il pas en train d’écrire les termes de sa nouvelle liberté, qu’il a chèrement acquise après avoir chassé le dictateur et ses sbires sans l’aide de quiconque ? – La créativité, l’ingéniosité et la débrouillardise qui le caractérisent, peuvent accoucher de géants.

Commençons par faire confiance à nos arbitres, à nos entraîneurs, à nos joueurs…

Mais pour que le potentiel se concrétise, il faut se donner l’opportunité et entamer l’essai. Ce n’est qu’avec le temps que les balbutiements des premières tentatives pourront donner vie au travail achevé et aux grandes œuvres. Au football comme ailleurs, il faudrait d’abord voir ce qu’on a à sa disposition, ce qui existe déjà dans le pays et qui mériterait d’être considéré, quitte à produire des résultats moyens au début. Un jour la perfection viendra. 

Exemple extrême, mais parlant : si les Anglais ont pu un jour dominer le monde, c’était en grande partie grâce à leur maîtrise des mers, et cette maîtrise ils ne l’avaient pas acquise du jour au lendemain, ni en priant du matin au soir, mais à force de travail, d’essai, grâce aussi à des hommes aventureux à qui on a donné les moyens de réaliser leurs ambitions, de défricher de nouveaux terrains et ainsi d’élargir les horizons. Ces hommes existent dans notre pays, mais cherchez-les plutôt dans les interminables files d’attentes des guichets administratifs, où ils s’usent à la recherche du formulaire perdu ou à celle du coup de tampon salvateur. 

Chacun a sa part de responsabilité. Aujourd’hui le dictateur est parti, et avec lui l’excuse facile ; “c’est la faute au régime” ne tient plus. Certes il y a encore de grands manques, mais il faudra bien commencer le grand chantier de la restauration quelque part, et si les secteurs de l’industrie lourde ou de la haute technologie sont encore un peu éloignés, commençons par ce qui est à portée de main, commençons par faire confiance à nos arbitres, à nos entraîneurs, à nos joueurs ; un jour viendra où ils seront à la hauteur de cette confiance.